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#Taxidermie #psychanalyse #anthropologie

1 Oct

Congrès d’Analyse Freudienne à Paris

30 septembre et 1er octobre 2023

Qu’est-ce que l’A(a)utre ?

Claude Breuillot 

Psychanalyste

Twitter : @cbreuillot  e-mail : cbreuillot@gmail.com  

Blog : psychanalysebourgogne.wordpress.com

Taxidermie et psychanalyse. Figures de l’Autre ?

Animal sacralisé, divinisé, animal fétiche, animal totem, les représentations animales ne manquent pas depuis la nuit des temps, peints sur les parois des cavernes ou sur celles, moins matérialisables, de notre inconscient. L’élucidation du phénomène marquera le Totem et tabou, de Freud. L’analyse du petit Hans, voire L’homme aux loups, L’homme aux rats,ont attiré son attention sur l’importance des animaux (des chevaux dans le cas de Hans) dans la névrose infantile, avec l’identification « totémique », entre animal et père de la horde.Freud avait pris un grand intérêt à la lecture de Totemism and Exogamy de James Frazer, paru en 1910. De fait, s’il est un ouvrage de Freud qui prend en compte la littérature anthropologique de son époque, c’est bien Totem et tabou.

La domestication de l’animal fut une étape cruciale. Il est à noter que crucial dérive du latin crux, crucis, « croix » en français, cruz en espagnol. « La domestication ne va pas de soi » explique l’archéozoologue Denis Loirat. « Les premiers animaux sont des animaux sauvages qu’on va commencer à contrôler, et donc d’abord à isoler du troupeau sauvage. On va commencer à les parquer, à les isoler, à les soigner, à les nourrir, à contrôler les naissances. Alors, ça ne se fait pas sur quelques années, évidemment, il faut attendre une centaine d’années pour percevoir un changement au niveau génétique, qui va se traduire pour nous, archéozoologues, au niveau anatomique, puisque c’est principalement ce qui va nous rester à observer lors des fouilles archéologiques. Ce processus de domestication entraîne une réduction de la taille des animaux, principalement des mâles, ce qui réduit la distinction entre les mâles et les femelles. Ce qu’on appelle le dimorphisme sexuel. Au départ, ce n’est pas évident de distinguer un animal sauvage d’un animal en cours de domestication… » 

La domestication,  à entendre comme signifiant du contrôle et de la maîtrise, pour satisfaire aux besoins alimentaires, mais concomitamment, mettant en exergue la temporalité, établir des liens qui restent à analyser entre l’enfant et l’animal.

La domestication du cheval ne fut ni plus ni moins qu’une Révolution dans la grande aventure humaine. Sans le cheval, pas de vitesse, pas d’exploration, pas de conquête… 

L’anthropologue et dramaturge, Valentine Losseau a étudié et vécu, par intervalles pendant sept ans dans les forêts du Chiapas, au Mexique. Elle rencontre les indiens Lacandon où chaque enfant, à la naissance, se voit attribuer un totem animal, une créature qui existe à la fois dans le monde physique et dans le monde souterrain. Les Lacandons se divisent en groupes, dont chacun se rattache à un animal. Le phénomène de la Prägung (en anglais : imprinting, en français, empreinte) aurait dû, à nos yeux, retenir très vivement Lacan. Tous les hommes vivant au même endroitportent généralement le même nom d’animal ou nom totémique. L’individu portant un nom totémique différent était chassé de son propre groupe et recueilli par un autre.

Il existe donc un clan « singe », un clan « sanglier », un clan « singe à tête blanche »,…

Le totémisme s’accompagne de l’interdiction de consommer le totem et de l’exogamie. Or la prohibition de consommation ne joue pas chez les indiens Lacandons : les « singes » sont même leur plat préféré. Si on leur reproche de consommer un « parent », ils répondent que ce parent est bon à manger, et que rien ne leur défend cet usage. Un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant. « L’exogamie est respectée d’une façon presque totale : j’ai vu, écrit jacques Soustelle, un cas d’homme « sanglier » marié avec une femme du même totem. D’une façon général, les « singes » épousent desfemmes « sangliers », et les « sangliers », des femmes « singes ». » 

L’humanité, écrit Freud, a produit, au cours des temps, trois systèmes de pensée ou trois grandes visions du monde : l’animisme (mythologique), la religieuse, la scientifique. Parmi elles, la première créée, celle de l’animisme, est peut-être la plus conséquente et la plus exhaustive. C’est un système de pensée qui permet de concevoir à partir d’un seul point, le tout du monde, comme un unique ensemble cohérent et qui laisse des traces dans la superstition, dans le fondement de notre parler et de notre croire. Freud soulève dans Totem et tabou, la question de la pensée magique. L’animal envahit les croyances : l’animisme est la croyance que toutes les choses naturelles, telles que les plantes, les animaux, les roches et le tonnerre, ont des esprits et peuvent influencer les événements humains. « Animisme » vient du latin anima, « âme » mais aussi « animé » – qui donnera le mot « animal ».

« Le premier animal domestiqué est le chien, mais il ne l’a pas été de manière intentionnelle. On estime que la transition s’est opérée il y a au moins 17 000 ans, soit bien avant l’apparition de la sédentarisation ou de l’agriculture. À cette époque, l’être humain et le loup, dont le chien descend, sont des prédateurs dont les terrains de chasse se croisent. »

 

Le bestiaire peuplant l’espace de la cure ou le champ psychanalytique ne manque pas d’originalité. De la naissance à la mort, les animaux se présentent à nous dans les interstices, souvent énigmatiques et équivoques, du quotidien : nos rêves, nos fantasmes, nos discours, nos investissements d’objet…

Au détour des contingences, il sera médium, surface de projection, objet spéculaire, sublimation, objet sexuel,…

 

La nosographie ne manque pas de l’épingler : la zoophilie, la phobie des araignées, la phobie des chevaux chez le petit Hans.

 

Les pulsions scopiques et épistémophiliques ne sont pas étrangères à notre objet d’aujourd’hui : la taxidermie. On ne peut ne pas penser à la pulsion invocante, proposée par Lacan. L’acte taxidermique vient-il faire écho à des conflits psychiques inconscients ? « L’entre-deux morts ne se rencontre pas  au coin de la rue, il faut-être, dit Lacan, « à bout de course », confronté au tragique, confronté à la coupure du langage, constitutif du sujet divisé, dit-visé par le chasseur photographique, chasseur d’image croisant le chasseur d’animaux. Si l’inconscient, c’est le désir de l’Autre, l’animal, par déplacement, pourrait-il être une figure de cet Autre ?

Mansion, c’est la demeure du dit de la vérité de la jouissance.La taxidermie pourrait catalyser l’image, condenser les dits-mansions plurielles du manque et de l’angoisse de castration, polariser le regard, par l’exhibition d’un corps constituant une limite, une sorte de divinisation de la limite où l’être subsiste dans la souffrance non symbolisée, la sourde  plainte. « Ces trois « ditmansions », telles que je les écris, s’appellent le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel. »

« J’aurai ta peau ! » pourrait s’exclamer le sujet en attente de l’acte taxidermiste, un retournement possible sur le corps propre, de la pulsion de mort.

Peut-on parler de passage à l’acte taxidermique ? 

A propos du suicide d’Empédocle qui «laisse à jamais présent dans la mémoire des hommes cet acte symbolique de son être-pour-la-mort», Lacan, dans les Écrits, affirme que «le renoncement suicide du vaincu frustrant de sa victoire le maître qu’il abandonne à son inhumaine solitude», est l’expression la plus haute de la liberté du désir : «cette affirmation désespérée de la vie qui est la forme la plus pure où nous reconnaissions l’instinct de mort. » Rien de plus pur que le suicide et le désespoir. Rien de plus pur pour un être, que, au-delà de la stase que représente la souffrance, de «rentrer dans le néant d’où il est sorti». Qui est le maître Anubis ou ce que représente le chien comme signifiant ?

 

Les fondations de la taxidermie, l’art de préserver des animaux et de leur donner l’apparence de la vie, ne sont-elles pas induites pas l’essor des sciences dites naturelles dans un souci d’identification et de transmission ? Quelles sont les différentes possibilités de conservation de spécimens ?Dérivée de recettes et méthodes de la momification orientale, élaborée essentiellement entre les XVIIe et XVIIIe siècles, il ne reste presque rien des premières productions, hors quelques spécimens spectaculaires : un crocodile du Nil en Italie, daté de 1530 et une série de chevaux, en Hollande et Allemagne, entre 1600 et 1690. La taxidermie est une technique moderne, née du besoin qu’avaient savants et érudits de la Renaissance de préserver les organismes qu’ils décrivaient et comparaient. Si garder une plante, ou même un insecte, s’avère assez facile par la technique de la mise en herbier (on essaiera aussi l’herbier de poissons au début du XVIIIe siècle), presser des Vertébrés que l’on souhaite garder entiers entre des couches de papier s’annonce malaisé.

 

Nous pouvons rapprocher ces pratiques taxidermiste des concepts de zoopolitique de Derrida ou de biopolitiquede Foucault. La zoopolitique, l’un des derniers concepts inventés par la déconstruction derridienne, a été abondamment décrite, analysée et mise en perspective lors des dernières années du séminaire de Derrida avant sa mort. Ce dernier séminaire, paru en deux volumes sous le titre La Bête et le souverain. La zoopolitique est porteuse de violence et de mort.

 

 

« Ce que le motif de la différance a d’universalisable au regard des différences, c’est qu’il permet de penser le processus de différenciation au-delà de toute espèce de limites : qu’il s’agisse de limites culturelles, nationales, linguistiques ou même humaines. Il y a de la différance (avec un « a ») dès qu’il y a de la trace vivante, un rapport vie-mort, ou présence/absence. Cela s’est noué très tôt, pour moi, à l’immense question de l’animalité. Il y a de la différance (avec un « a ») dès qu’il y a du vivant, dès qu’il y a de la trace, à travers toutes les limites que la plus forte tradition philosophique ou culturelle a cru pouvoir reconnaître entre l’homme et l’animal. » dira Jacques Derrida dans un entretien avec Élisabeth Roudinesco.

 

La momification des Egyptiens, le plus ancien procédé utilisé, était une opération complexe, composée de plusieurs étapes : dessèchement des corps éviscérés avec le sel et le natron, enveloppement de fines bandelettes de toile, engluement de bitume et bourrage du ventre d’herbes mêlées de baume. Après tout cela, les corps étaient déposés dans des sarcophages pour éviter l’évolution de la destruction des tissus. Les mêmes principes étaient applicables pour les animaux.

Le premier atelier important de taxidermie, Rowland Wards, fut créé à Londres vers 1850. Dans le même temps, les réalisations des ateliers Deyrolle ou des frères Verreaux à Paris connurent un certain retentissement. Cette époque coïncidait avec le mouvement romantique et les taxidermistes, comme les artistes qui leur étaient contemporains, furent inspirés par les récits rapportés par les voyageurs naturalistes. Leurs montages exhibaient des fauves aux allures désinvoltes et expressives qui témoignaient bien du rapport entre l’animal et les hommes de cette époque. La peau est retirée et débarrassée de ses impuretés dans un bain d’acide. Les dents, les cornes ou les bois sont nettoyés puis séchés. A l’aide d’une armature en fil d’acier, en bois ou en mousse, le taxidermiste reconstitue ensuite le plus précisément possible la structure de l’animal.

Il est à considérer, dans l’Egypte ancienne, les différences entre deux types de dévotion autour des animaux : le culte des Uniques et celui des Multiples :

 

   Les Uniques : certains animaux étaient, en effet, considérés comme des hypostases du dieu sur terre, un équivalent des statues de culte, réceptacles terriens de la divinité. Après sa mort naturelle, l’animal était momifié et inhumé avec tous les honneurs, puis on recherchait son successeur. L’animal devait, en effet, répondre à des critères physiologiques précis (pour un bœuf par exemple, couleur du pelage, certaines taches précisément disposées sur le corps…). Le nouvel « élu » allait alors passer sa vie au sein du temple, dans un enclos luxueux. L’Unique le plus célèbre est sans nul doute le taureau Apis au Sérapéum de Memphis dont le culte a perduré de l’époque thinite jusqu’à l’époque ptolémaïque et qu’Hérodote décrit dans son Enquête. Mais il en existe d’autres comme les taureaux Mnévis et Boukhis ou les béliers de Banebded et d’Éléphantine.

 

   Les Multiples : les animaux momifiés en « masse » sont un phénomène qui se développe surtout pendant les époques tardives. Les temples élèvent dans leurs enceintes des centaines d’animaux qui sont destinés à être offerts par des particuliers en « ex-voto » (cadeau votif) à la divinité, ce qui entraîne le développement d’immenses catacombes animalières (comme à Saqqarah). On possède des témoignages illustrant notamment l’existence de grandes volières à ibis (Tounah el-Gebel), ou encore des traces archéologiques de « couveuses » pour les œufs de crocodile (Médinet Mâdi). Les études pratiquées sur ces momies démontrent que les animaux pouvaient être abattus (on a par exemple découvert des momies de chats qui étaient en fait remplies de plusieurs chatons) ou l’on pouvait sélectionner seulement une partie du corps de l’animal (comme des « momies » constituées exclusivement de pattes d’ibis). Ce véritable commerce, sans doute très rentable pour les temples, a d’ailleurs entraîné des abus et on a des attestations de procès contre des prêtres qui avaient vendu de fausses momies. La demande d’animaux destinés à cet usage, bien plus élevée que l’élevage ne pouvait en offrir (plus de soixante-dix millions auraient été embaumés), conduisit les embaumeurs à se contenter de « parties » de l’animal, ou même d’objets s’y rapportant (seule une momie sur trois contenait un animal complet, et un autre tiers ne contenait qu’un morceau de l’animal).

 

 

La naturalisation :

 

​Concernant le fil de ces réflexions biopolitiques, il est à considérer la naturalisation comme modalité identitaire et ses conditions fixées par la loi, selon trois modes d’acquisition : 

• par déclaration (notamment mariage)

• par décret (naturalisation)

• automatique, sans formalité (de plein droit).

La « naturalisation par décret » est l’une des procédures qui permet de devenir citoyen français. « Le marquage sémantique et symbolique, de même que la pertinence pratique de cette différenciation primaire entre Français et étrangers composent en fait le cadre élémentaire dans lequel s’inscrivent les procédures de naturalisation. »

 

 

Quant à préserver son animal de compagnie après sa mort ? Une figure de la mélancolie ?

La taxidermie comme métaphore de l’attachement, de l’aliénation et de l’idéal ?

 

Le trompe-la-mort, le partenaire de l’errance, le complice, je le rencontrerai autour d’un texte d’Olivier Douville, évoquant le punk à chien. « Alors je parle du chien, je lui demande comment  va son chien… et j’entends toutes les conneries d’usage : « vous savez, les chiens, c’est bien, c’est meilleur que les humains ». Je continue : « Ah oui, c’est bien, votre chien vous aime bien, vous l’aimez bien, vous en prenez soin ». Et il me dit cette chose extrêmement sidérante : « J’entends mon chien, il est sympa parce qu’il rêve de moi ». Ça, je vous assure, c’est assez original. Aussitôt, dans une espèce d’impatience infantile, notre stagiaire annonce : « voilà un beau cas de psychose ». J’ai beau secouer le D.S.M. – ça a au moins une vertu, ça fait des muscles c’est épais – ou mes traités de psycho-pathologies, je n’ai jamais entendu parler de folie à deux avec un rottweiler. C’est peut-être parce que les psychiatres ne fréquentent pas assez les salons canins, je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c’est que, dans ces cas-là – et n’oubliez pas que c’est quelqu’un qui n’est pas au pire de l’errance – un sujet… – et il n’est pas plus fou que moi- … peut tout à fait déléguer ce que Freud appelait sa libido (non pas l’énergie vitale mais le désir de l’énergie vitale), sa psyché, à un poids extérieur qui se trouve être l’animal. Et il peut montrer non sans fierté qu’il prend soin de cette vie extérieure à laquelle il confie, sans délire, le soin de rêver à sa place. Evidemment, il ne nous a jamais raconté que le chien lui racontait ses rêves ni qu’il mettait son chien sur un divan pour toussoter ou entre deux sursauts servir d’interprétation géniale qui fait bouger la structure. »

 

L’aliénation, selon Lacan, c’est l’aliénation au signifiant. 

 

La taxidermie participe d’un imaginaire : les spécimens ont une grande valeur et doivent être considérés comme témoignage et mémoire matérielle à léguer aux générations futures. Sur le plan symbolique, la pratique rencontrait le désir d’enseigner. L’attention subjective donnée à l’animal, trans-figuré, deviendrait, par substitution, la rencontre possible entre des êtres qui désespèrent de la présence humaine dans le Réel. Est-ce une histoire sans paroles ? 

 

Depuis la plus haute antiquité, les hommes ont été tentés par les essais de conservation du corps humain ou des animaux. Dès la préhistoire, la plupart des animaux vivant dans l’Égypte antique furent sacralisés et idolâtrés. Ils étaient considérés comme des incarnations vivantes de principes divins et furent associés à des divinités.

 

Anubis (prononcé [a. ny. bis]) est un dieu funéraire de l’Égypte antique, maître des nécropoles et protecteur des embaumeurs, représenté comme un grand canidé noir couché sur le ventre, sans doute un chacal ou un chien sauvage, ou comme un homme à tête de canidé.

 

Anubis Repetita (25 ans)

 

Je souligne la répétition comme symptôme et parole avortée. Quelles sont les visées scopiques, spéculaires, de ce chasseur ? 

 

Anubis vit une rupture annoncée avec sa compagne. Elle est celle qui, à son insu,  réactivera les angoisses massives de cet homme.

 

L’iconodoule, aux confins de la crise clastique (Du grec ancien κλαστός, klastos (« brisé ») avec le suffixe -ique.), dévasté par une terreur sans nom, au risque de l’épuisement et de l’effondrementpsychiques, viendrait se soutenir inconsciemment de ses images tutélaires. Il vit la rencontre avec sa compagne, se soutenant d’une sécurité imaginaire : une assurance tous risques. Elle est sûre d’elle, le prend en main. Il est prêt à tout donner. Son frère ainé l’humilie. Ils sont ensemble en GAEC, le père d’Anubis et ses deux fils.

 

Anubis, mannequin clastique, expurge les réminiscences martyrisantes et immanentes figurant les images en souffrance, les lettres de son désir sans adresse.

Son prêche, indicible, incertain,imprègne le quotidien de sa spiritualité privée. Soumis à des mouvements radicaux au risque de lui devenir fatal, Anubis se trans-figure en bourreau de lui-même, contraint à une jouissance dévastatrice et mortifère. Je le reçois à mon cabinet, suite à une hospitalisation en Centre Hospitalier Spécialisé,pour palier à ses pensées suicidaires. Chacun craint pour sa vie. Il résiste aux images qui le persécutent.

 

Il évoque son incapacité à cuisiner, à la surprendre, à vivre dans la maison en son absence quand elle rentrait tard du travail. Lui, mangeait chez ses parents qui habitaient à proximité. Avec Anubis, la vie est un rituel mortifère ; chronicisé par des étapes répétées, comme s’il cochait, chaque matin en se levant, les mêmes cases. L’ennui s’installe dans le couple et le désir de sa compagne s’estompe. Elle souhaite faire chambre à part, rendant déterminant l’écart et le lien, l’inscription de l’absence et de la présence. L’Un menaçant est mis à mal, relégué au bord du lit ;  ils deviennent étranger. Le couple, leur entente fragile et incertaine, comme ensemble fictif, n’est plus. L’un « unien » ne tient plus et vient déstabiliser l’unité de l’être. Qu’adviendra-t-il,comme destin, de ses pulsions ?

 

Les premiers mois d’analyse sont frappés du sceau des pensées suicidaires. Il sera hospitalisé par deux fois pendant son analyse.

Sa mère m’appellera, au moment où elle le fait hospitaliser. Elle me dit que c’est la première fois que son fils Anubis parle de son thérapeute à ses parents. C’est lui qui lui demande de m’appeler. Elle s’insinue, tente d’interférer, paie parfois les séances d’Anubis.

 

Dix mois passent, pendant lesquels Anubis est ponctuel à ses séances. Le transfert de l’analyste permet d’établir un cadre sécurisant, une attention subjective et flottante.

 

J’entends, au cours du fil de ses associations, un autre en creux, un absent, une place manquante.

 

Il arrive à sa séance, agité, ne me regarde pas ; il a beaucoup bu entre les dernières séances. La maison du couple est vendue. Il a fallu signer chez le notaire. Anubis culpabilise de n’avoir pas été à la hauteur de cette femme idéalisée. 

 

Je lui demande s’il vient de se passer un événement qui pourrait lui sembler anodin. « Je viens de ramener le chien. » énonce-t-il après un temps d’hésitation, de doute.  Depuis la séparation, ils s’échangent le chien chaque semaine, ce que les couples divorcés nomment : passage de bras quand ils déposent l’enfant chez l’autre parent.

 

Je lui demande de me parler de son chien. Il évoquera la chasse, les rapports singuliers avec son animal qui suivait la voiture dès qu’il quittait la maison. Ce chien qui l’entendait arriver de loin et qui l’attendait sur le pas de porte en lui faisant, comme on dit, la fête. La séparation consiste dans l’inclusion du sujet dans ce reste déchu. Lacan en donne l’exemple, dans le Séminaire XI, avec le fantasme infantile de sa propre mort. « Est-ce qu’il peut me perdre ? » est la question de l’enfant face à l’énigme qui lui arrive de l’Autre. Le chien l’accompagnait à ses séances d’analyse. Il restait dans le pickup.

Anubis et son chien, leur « organisation passionnelle », écrit Lacan, ne font qu’Un, produisant une unité indivisible, dans un regard partagé. Le chien remplace l’image dans le miroir. « Le stade du miroir ne s’achève, pour Lacan, que lorsque ce qui a tété trouvé à s’identifier à l’image dans le miroir se retourne et va s’identifier à ce signe de l’assentiment, cet einziger zug, qui l’introduit de plein pied dans le symbolique et son déploiement indéfini d’unités discrètes. » Quels ont été les avatars de l’assentiment, pour Anubis ?

 

Peut-on dire que le chien s’identifie aux signifiants d’Anubis ? Au trait unaire ? Une forme de duplication sans duplicité, mais non sans  ubiquité, dans l’omnipotence, l’omniprésence de l’un et l’autre, qui soulignerait une symbiose. Il est à entendre le signifiant d’une diplopie essentielle au désir, à laquelle il est impossible d’échapper : dans la dialectique de la demande et du désir, le sujet prend toujours l’ombre pour le vrai. Processus qui implique aussi bien la falsification du sujet que de l’objet du désir en question.

 

Nous pourrons nous référer aux travaux de l’éthologue autrichien Konrad LORENZ, interrogé dans son bureau au « laboratoire » de Seewiesen en Haute Bavière. Ses observations sur les oies lui ont permis de formuler des lois sur leurs comportements. Il donne des exemples, sur la fidélité des oies et sur leur jalousie. « Les réactions sexuelles d’un canard colvert élevé en compagnie d’un tadorne ne se fixent pas sur cet exemplaire précis de Tadorna tadorna L, mais sur son espèce. Placé devant le choix entre de nombreux tadornes, le sujet ne choisit presque jamais « son partenaire d’empreinte » – les mécanismes inhibiteurs de l’inceste l’en empêchent – mais un autre représentant de l’espèce. Un choucas que j’avais élevé moi-même et dont le comportement sexuel était par conséquent fixé sur l’homme, orienta son comportement de pariade autour d’une petite fille brune. Je n’ai jamais pudécouvrir ce qui avait bien pu pousser l’oiseau à nous considérer tous deux comme des représentants d’une seule et même espèce. »

 

Par ailleurs, pour Bowlby (1958), le lien d’attachement permet à un organisme non encore autonome de recevoir protection et soins de la part d’un organisme mature, habituellement le parent biologique. Selon cette logique, quand l’organisme estmature, on pourrait s’attendre à ce que le processus d’attachement disparaisse puisqu’il n’est plus nécessaire à sa survie.

Lehotkay (2002) a découvert une correspondance entre les groupes de maîtres et les groupes de chiens, comme le prédisait la théorie de Bowlby (1969) : ainsi, plus les maîtres évitaient la proximité, plus leurs chiens 1′ évitaient aussi, etinversement. En conclusion, la recherche de Lehotkay (2002) a montré que la relation d’attachement entre le chien et son maître est semblable à une relation d’attachement entre un enfant et sa mère par le fait que leurs patrons d’attachement concordent.

 

Nous pouvons entendre les intrications pulsionnelles entre le maître et son chien. 

En début d’analyse, il avait évoqué son enfance, avec sa mère qui le posait au pied des premiers ceps, pendant qu’elle, taillait la vigne pendant des heures. En grandissant, il jouait en gardant en ligne de mire sa mère, scrutant sa position dès qu’elle s’accroupissait.

 

Anubis, l’écorché vif, le dépiauté, avait pu me dire comment ses années d’internat avaient été un supplice.

 

Anubis, son chien, son semblable, le « Nebenmensch », « il l’a dans la peau ».

 

Son chien n’est pas un chien. La chaîne signifiante est marquée de temps morts. Au niveau paradigmatique, un signifiant pourra prendre la place d’un autre. Il évoque une sœur. Il en est sûr. Il a entendu qu’il y avait eu un autre enfant. Une fille. Il ne peut pas demander à sa mère. Il ne se représente pas si cette sœur aurait pu naître, si elle est mort-née, ou encore si elle était née avant ou après lui.

Mais la séance suivante, il évoque l’autre chien. La valeur d’échange que représente celui-ci n’était qu’un écran qui dissimule ou protège des marques d’une rupture ancienne. La mort de la sœur ? Non. Le moment n’est pas venu.

En fait, ce sera la mort d’un autre chien dans des circonstances particulières,  dont Anubis souhaite parler.

 

Pendant de nombreuse séances, je complèterai, grâce à Anubis, mes connaissances sur la chasse. Il me dit qu’il l’a fait empailler. Le chien reste chez ses parents, sous le regard.

Quelles sont les circonstances de sa mort ?

Son ami et complice de chasse lui avait offert ce chiot issu d’une portée qu’Anubis a vu naître. Un week-end, son ami lui empreinte ce chien pour débusquer des ragondins. Anubis hésitera, mais il a confiance en son ami. Le chien ne ressorti pas des boyaux. Le milieu de prédilection du ragondin recouvre les bords de fleuves, de rivières, les marais, les canaux, les étangs, les mares, les fossés remplis d’eau plus ou moins stagnante. Là, il creuse son terrier qui comporte plusieurs entrées dont une sous l’eau.

Le ragondin a été introduit en France dans les années 1880 pour sa fourrure et est devenu une espèce invasive, raison de sa classification comme « nuisible aux végétaux en France ». Mais je me laisserai surprendre à l’évocation de la technique de chasse. Il arrive très souvent que le chien ne s’extirpe pas des terriers creusés. Anubis a l’habitude de poser un linge chargé de son odeur à une des entrée, comme on peut faire en service de néonatalogie pour des enfants en couveuse. Anubis retrouve régulièrement, le lendemain, le chien, sur le linge, qui attend.

Lors de cette partie de chasse, Son ami ne lui a pas dit le soir même, que le chien était resté piégé, coincé. À l’annonce, le lendemain, de l’absence du chien, Anubis loue une pelle excavatrice et découvre les deux animaux étouffés.

La découverte macabre de la dépouille sans vie provoqua un effondrement et un état de sidération. 

Il ramène son compagnon à 4 pattes – lui ou son compagnon ? – et se rapproche d’un taxidermiste. 

Ces évocations émaillent toujours les séances. Je lui demande le lieu où il a déposé cette relique ? Anubis développe, petit-à-petit, ce qu’il découvrira advenir, sa vénération, comme désir inconscient. Il demande au taxidermiste de créer une scène à deux figuresmythiques : le renard et son chien. Il me montrera, sur son portable, une photo de cette scène, déposée sur une planche dans le caveau familial ; ils sont viticulteurs. Il garde précieusement  de nombreux animaux morts au congélateur.

« Une relique peut devenir fétiche et inversement, en fonction du devenir relationnel avec l’objet. Dès lors, écrit Jean-Clément Lavieille, l’objet conservé se présente doublement tant qu’objet bi-fide, pris dans une double foi « bi-fides » ; un premier aspect,intime et un second, social. Le dispositif reliquaire entoure à la manière d’un discours : il est le garant, soit d’un renoncement, soit d’une exposition. »

 

En guise de conclusion

 

​La mort du chien vient-elle présentifier, re-présenter, l’autre mort, celle de sa sœur, ou la perte de l’accordage subjectif avec sa mère ? Lacan nomme « sujet aliéné », le « sujet divisé». 

Il est en même temps le « moi », image fictionnelle du sujet, et le « je », sujet de l’inconscient. Pour le dire brièvement, le « moi » et le « je » sont une façon d’appeler les deux côtés du sujet, divisé dans son rapport à l’Autre. Ils représentent la structure propre au langage : le premier « sujet de l’énoncé », le second « sujet de l’énonciation ». Dans ce sens, Lacan affirme que le sujet est aliéné par l’image et par le signifiant. Ce qui signifie qu’il sera toujours « aliéné », dans la mesure où il faut qu’il se fasse représenter dans la langue et par la langue.

 

Anubis traverse-t-il un deuil impossible de l’objet maternel ? Impossible en raison de quelle défaillance paternelle ? 

 

La perte de l’objet aux confins de la stupeur mélancolique indique-t-elle une faillite des signifiants ? Dans Deuil et mélancolie, Freud parle du suicide mélancolique en rappelantqu’un suicide visait toujours quelqu’un d’autre.

 

Anubis vient d’acheter une nouvelle maison. Il ne peut y dormir seul, pour l’instant. À la place de la mort, sera-t-il en mesure de produire de nouveaux artifices , un « au-delà », une sublimation, non périssable ; une ex-tasis. Pourra-t-il exister une survivance à la perte de l’objet ?

« Nommer la souffrance, l’exalter, la disséquer dans ses moindres composantes est sans doute un moyen de résorber le deuil », dépassant le processus inconscient de sacralisation, en le symbolisant.

Pour Anubis, singularité rime avec isolement et sidéralité du vide, une pesanteur du présent, dont il est en passe de s’extraire. 

Se distinguant de la position de Heidegger pour qui le Daseins’inscrit dans l’horizon de sa propre mort, Bataille va situer l’expérience du sens primordial de l’existence dans la rencontre avec la mort d’autrui.

Dans Histoire de l’œil, le sentiment associé au spectacle de la mort renvoie au sentiment amoureux entre les protagonistes. Ce passage de l’Histoire de l’œil de Bataille est à cet égard fort évocateur :

« Ainsi commencèrent entre nous des relations d’amours si étroites et si nécessaires que nous restons rarement une semaine sans nous voir. Nous n’en avons pour ainsi dire jamais parlé. Je comprends qu’elle éprouve en ma présence des sentiments voisins des miens, difficiles à écrire. Je me rappelle un jour où nous allions vite en voiture. Je renversai une jeune et jolie cycliste, dont le cou fut presque arraché par les roues. Nous l’avons longtemps regardée morte. L’horreur et le désespoir qui se dégageait de ces chairs écœurantes en partie délicates, rappellent le sentiment que nous avons en principe à nous voir.

L’expérience de l’amour, pour Bataille, se rapporte fondamentalement à l’horreur et au désespoir : aimerquelqu’un c’est, en définitive, éprouver face à lui ou à elle, le sentiment de se tenir au bord de l’abîme.

L’acte taxidermique peut s’entendre comme sublimation en termes de créativité reliquaire. L’objet-relique navigue entre reconnaissance et rébellion face à la perte.

 

 

 

Pour citer cet article :

BREUILLOT, C. (2023), Taxidermie et psychanalyse : figures de l’Autre ?, psychanalysebourgogne.WordPress.com, Congrès international d’Analyse Freudienne; 1er Octobre 2023, Texte intégral, 18 pages.