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#psychanalyse #politique #Éducation / La bienveillance à l’école rend-t-elle idiot ? / #Université de #Lausanne / 15/09/2022

16 Sep

Conférence à l’Université de Lausanne

Semaine Internationale de l’Education et de la Formation

Jeudi 15 septembre 2022

Intervention de Claude Breuillot

Psychanalyste, Docteur en Psychologie Clinique, Expert judiciaire

cbreuillot@gmail.com / psychanalysebourgogne.wordpress.com 

 

Le bien-être en éducation rend-t-il idiot ?

 

Je poursuis la présentation de mon travail de recherche interrogeant psychanalyse et politique, proposé lors d’un colloque à l’Université de Besançon en novembre 2021. Il n’est pas exagéré de penser que des incidences se manifestent au sein de nouvelles configurations de l’idéologie, jusque dans les formes, les contenus et les processus de l’espace de la réalité psychique, chez les individus et les ensembles comme les groupes et les institutions. Ce travail repose notamment sur l’analyse de comptes Twitter d’Inspecteurs ou Inspectrices de l’Éducation Nationale inspirés, devenus les soigneurs représentants de thérapies comportementales et cognitives dites de troisième vague en appui particulièrement sur la pleine conscience annoncée dans les programmes dès l’école maternelle par l’équipe de l’ancien ministre français de l’Éducation Nationale Blanquer.

Qu’est-ce que le « bien-être en éducation » ? L’Éducation n’a-t-elle pas pour finalité de rendre les individus non-« idiots » ? L’éducation ne va-t-elle pas vers plus d’autonomie réflexive ? le bien-être, est-ce se normaliser ? Devenir performant ? Les choix réalisés en matière d’Éducation génèrent-ils des coûts insoupçonnés pour la société ? Si l’agriculture conventionnelle s’inscrit dans une logique productiviste et semble palier à une démographie galopante, les coûts en matière de dépollution et de santé publique en sont exorbitants. Peut-on invoquer une idiot-syncrasie latente ?

 

Les algorithmes, nouveaux marqueurs de l’hystérisation en cours, omniprésents, tentent de gérer et diriger notre économie, notre société et peut-être même la façon dont nous pensons, ce que je nomme aussi l’apensée quand l’Éducation se mondialise avec comme tête de gondole les pays anglo-saxons. « Il n’y a pas de « pensée unique », mais dix mille façons différentes (au moins) de ne pas penser. » Les algorithmes entrent dans les procédures de prévision, de stratégie et de développement à tous les niveaux politiques. Il serait étonnant que la psychanalyse n’ait rien à dire de la mesure du bien-être, du désir sexuel ou autres énonciations dogmatiques.

Les organismes internationaux tels l’ONU, l’OCDE, imaginent des indicateurs forcément subjectifs ou hors-sol qui font foi pour nombre de gouvernements. Comme l’indiquait Lacan parmi ses aphorismes : « Les erreurs de bonne foi sont les plus impardonnables. » Un organisme officiel implanté au Canada, très influent dans tout le Commonwealth, écrit :  « L’objectif général du présent document est de donner un aperçu de certaines approches adoptées pour mesurer et déclarer le bien-être au Canada et à l’étranger. » Vouloir le bien des autres ? Une forme d’évangélisation ?

 

Une déclaration du bien-être en place de la Déclaration des Droits de l’Homme ?

 

Claudia Sanmartin, Directrice de recherche en statistique pour le Canada admet dans son rapport sur la santé en date de février 2022 que « des erreurs de mesure concernant à la fois l’environnement alimentaire et les résultats en matière d’alimentation ou de santé ont produit des résultats incohérents. » Je souligne au sein du Rapport de l’OCDE de 2020 :  « Comment va la vie ? » cette phrase : « Les morts dues au suicide, à une consommation excessive aiguë d’alcool ou à une overdose sont plus nombreuses parmi les hommes que les femmes, mais dans plus d’un tiers des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), les taux de mortalité correspondant à ces causes sont en hausse chez les femmes. Globalement, ces « morts par désespoir », même si elles ne représentent qu’une faible part de l’ensemble des décès, sont trois fois plus nombreuses que les morts sur la route, et six fois plus que les décès par homicides. » Une énonciation des causalités qui nous laisse dans l’embarras.

En matière d’algorithmes, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) créé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), vise à tester les compétences des élèves tout en comparant de nombreux pays aux cultures différentes et aux réussites démocratiques discutables.

Dès la leçon du 24 janvier 1979, Foucault posait la question suivante : « Est-ce que ça a beaucoup de sens de dire, ou simplement de se demander, si une monarchie administrative comme celle que connaissait par exemple la France au XVIIème et au XVIIIème siècle, avec toutes ses grosses machineries lourdes, pesantes, sans souplesse, avec les privilèges statutaires qu’elle était obligée de reconnaître, avec l’arbitraire des décisions laissées aux uns et aux autres, avec toutes les lacunes de ses instruments, –  est-ce que ça a un sens de dire que cette monarchie administrative laissait plus ou moins de liberté qu’un régime, disons libéral, mais qui se donne pour tâche de prendre en charge continûment, efficacement les individus, leur bien-être, leur santé, leur travail, leur manière d’être, leur manière de se conduire, jusqu’à leur manière de mourir, etc… ? ».

Quand le développement personnel invite chacun à se renouveler en permanence, quand il infuse au sein de formations de professeurs ou de l’encadrement, quels effets sur nos enfants ? L’appétit commercial et le business ont enfreint l’école dès la Maternelle dite Montessori, dernier bastion de l’enfance, par la porte du bonheur attentif et immaculé, bardés des fards captifs de leurs couleurs Haribo.

J’évoquerai ici quelques figures du bonheur, du bien-être et de la bienveillance, à l’Université, dans la vie civile et les fondations, et au sein de formations de l’Éducation Nationale.

 

L’idiot ?

 

Deux figures issues de la création littéraire ou picturale viennent paramétrer ma communication d’aujourd’hui : le regard porté sur le tableau énigmatique intitulé : « L’idiot » de Chaïm Soutine (1893-1943) et l’ouvrage de Dostoïevski : « L’idiot » écrit entre Le Joueur et L’Eternel Mari. Le personnage d’Idiot incarné en Lev Nikolaevitch Mychkine hésite en permanence à se positionner. Le premier réflexe est de le prendre pour un idiot. Certains des contes populaires russes ont un personnage de héros paradoxal surnommé Ivan-Dourak (littéralement Ivan le Crétin). Dans ces contes, la famille idéale contient trois enfants : le premier représente la force physique, le deuxième l’intelligence un peu sournoise, et le troisième, c’est Ivan-Dourak. Cette appellation de « crétin » lui est donnée par les autres, souvent par ses frères en personne, essentiellement parce qu’il est un personnage marginal, incompréhensible, n’agissant pas selon les normes admises dans la société. On se moque régulièrement de lui, on l’insulte, mais finalement c’est lui qui résout les énigmes émaillant le conte et qui, à la fin, épouse la princesse. Quelles thèses épousent les programmes de l’Éducation Nationale avec les cautions de la psychiatrie et de la neurologie en charge d’attester, de certifier, d’orienter ou de faire le tri ?

 

Je me remémore aussi la figure du crétin des Alpes. Jusqu’en 1922, les médecins n’arrivent pas à expliquer les causes de cette infirmité. Les hypothèses foisonnent, et les traitements aussi. Ce sont finalement des médecins suisses qui vont isoler la véritable cause de la crétinerie : le manque d’iode dans les terres alpines, éloignées de la mer. Il y a cette idée propre à la médecine du 19ème siècle qu’il faut soustraire les crétins à leur milieu naturel. Si on ne peut pas les guérir, on peut les éduquer. C’est ce que pensent les docteurs. En Suisse et en France, des instituts spécialisés regroupent les crétins dans des asiles et tentent des remèdes à base de chocs électriques, d’eau glacée ou même de son pour éveiller leur sensibilité.

 

De l’omnipotence à l’omniscience

 

L’éducation nationale pose intrinsèquement, insidieusement l’énigme du ça-voir et de son impuissance à un tout-savoir sur l’enfant du domaine du fantasme ou de la psychose, quand les programmes scolaires prônent l’implicite. Ne place-t-elle pas l’enfant, les formateurs, les enseignants sous un contrôle omnipotent toujours plus insidieux concernant la place du numérique ? L’éducation nationale, à l’identique de certains parents, se transforme en tour de contrôle obsédée par les résultats et l’optimisation légitimée dans ses allégations par des directives internationales échappant à l’opinion publique. La perversion liée à la légitimité, c’est que chaque choix, chaque décision soit indiscutable et vérifiée par une Science omnipotente. Le Trésor de la Langue Française définit l’explicite comme « ce qui est nettement et complètement formulé, sans aucun doute possible » et l’implicite comme « ce qui, sans être énoncé expressément, est virtuellement contenu dans un raisonnement ou une conduite ».

Le titre du séminaire, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », propose d’emblée au-moins trois équivoques. Ces équivoques sont fondamentales pour la psychanalyse. Non seulement nous travaillons toujours dans le domaine de l’équivoque en psychanalyse ; mais ces trois équivoques bien développées indiquent l’enjeu de chaque équivoque particulière rencontrée dans telle ou telle expérience. Est-ce si différent en pédagogie lorsque l’enseignant fait un raisonnement qui lui semble logique mais qui ne l’est pas pour l’élève ? Comment l’implicite échappe à l’enseignant au niveau de ses processus de pensées inconscientes ?

 

Mirages rationnalisants de l’hyperlibéralisme ?

 

La dissection de Michel Foucault établit la présence du regard dans les tissus de l’œil et nous indique sa fonction symbolique : le regard, selon la place qu’il occupe dans le tableau, selon le calcul qui lui assigne une position, est un objet qui fait changer de point de vue ; nous dirons avec Lacan qu’il conditionne les changements de discours.

 

L’éducation d’être sans regard est une éducation qui n’est plus ordonnée par son idéal humaniste qui laisse à désirer, elle devient une éducation sans égard, sans jouer son rôle de pare-excitation nécessaire au sens freudien du terme. Au nom de l’humanisme et de l’humanitaire, de la pureté des bons sentiments, ne risque-t-on pas la guerre ?

Le tour de passe-passe consacre l’idéologie d’un tout-voir qui serait l’indice d’une vérité de l’image qui n’est plus une image virtuelle mais une image réelle à qui je dois m’identifier pour authentifier la vérité de mon être.

Luis Bunuel avertit ses spectateurs dès ses premiers films ; dans « Le chien andalou », nous voyons un œil qui est coupé sous nos yeux, qui clignent devant l’image : méfions-nous de l’image dans sa fonction totalisante semble nous dire le cinéaste espagnol, au temps du franquisme, elle n’est là que pour masquer la schize du regard. C’est cette schize du regard qui maintient la possibilité d’un sujet désirant. À l’inverse, transformer les enseignants ou les formateurs en ingénieurs qualité ou en technicien supérieur ne les précipiteraient-ils pas à une perte de l’objet même de leur acte ?

L’erreur que nous partageons au niveau épistémologique, celle qui fait passer la schize entre le voir et le regarder, entre l’œil et le regard, est soutenue par l’idée d’une vision à distance, d’une télévision qui ferait que je pourrais voir d’où je regarde et qu’il suffirait que je ne regarde que ce que je veux voir pour que les conséquences d’un tel dispositif soient résolues : l’avidité de l’œil qui voit plus loin n’est pas la recherche d’un regard qui manque mais la recherche de ce qui manque au regard pour que je puisse exister à ce regard.

 

Jean (8 ans)
 
Je donne à entendre ici quelques éléments signifiants de la première séance préliminaire, moment crucial, temps historique comme « amorce de la préfiguration» d’un aménagement psychique possible. Je reçois Jean seul, puis je ferai entrer les parents en fin de cette première rencontre. Sa mère me tend un dossier qui me semble épais. Je ne le prends pas et j’attends la fin de la séance.
Jean est attentif, observe l’environnement du cabinet puis, de lui-même, spontanément, saute sur les feuilles posées sur une table à sa hauteur, ce que j’entends comme passage à l’acte vital de symbolisation pour exprimer son monde psychique interne, sans s’y réfugier, sans se retirer du monde.
Très agité, perturbé dans tout son corps par des angoisses massives, ses mots se percutent le long de ses phrases. Son père me montrera une vidéo enregistrée à la maison : il ne peut contenir les mouvements saccadés de ses membres. Il évoque rapidement ses cauchemars peuplés de monstres dévorateurs où son père est invisible. Jean me dit être « complètement tétanisé ». Le monstre mange la moitié de son corps. Il me dit que dans son cauchemar, il peut traverser les murs. Il va voir dans le lit de son frère mais « il n’y a rien ». Face à ces mouvements inconscients, il me dit ne « pas pouvoir résister ». Un tapis d’origine syrienne est étendu au pied de mon divan. Jean se couche sur ce tapis et me parle. En fin de séance, au moment d’aller chercher ses parents dans la salle d’attente, Jean me demande effrayé :  « Reste là. Reste là. »
Si ses parents évoquent des éléments trop excitants pour sa psyché, il se cache sous mon bureau, comme pour se protéger des mots qui pourraient tomber sur sa tête.
Ses parents et l’école mettent, à leur insu, la pression pour qu’il contraigne ses mouvements, et surdéterminent chez Jean un sentiment de culpabilité envahissant, ce qui aura l’effet inverse de celui escompté, construction d’une vérité illusoire. Au moment où il pose le crayon sur la feuille, la pointe du crayon vient percuter la surface comme un scud. Jean m’adresse sa demande : il souhaite revenir. Il ne veut pas retourner à l’école.
Dans la tradition de sa communauté, son prénom transmis par son père, est le prénom du père de son père. Le frère jumeau de Jean porte le prénom du frère de son père, moine chrétien, car celui-ci ne pourra pas avoir d’enfants, explique le père.
Ces deux jumeaux, comme chaque enfant, sont rêvés, parlés avant d’être parlants.
 
En recevant les parents en fin de séance, la différence signifiante prend une place essentielle, ce que j’ai nommé renversement dialectique. La mère ne comprend pas pourquoi ses deux garçons nés le même jour ne portent pas les mêmes symptômes. Né sous les bombes pendant le siège d’Alep en Syrie, prématuré, Jean est arrivé en France à 18 mois. Ses parents appartiennent à la communauté des Chrétiens d’Orient.
Les investigations chez le neurologue ont rassuré les parents et propagé un effet de sens fantasmatique. Les IRM ont apporté leur Vérité. Son cerveau va bien mais, il lui sera prescrit une accompagnante d’élève en situation de handicap et une inscription à la MDPH (Maison des Personnes Handicapées). Comme répétitivement, des séances d’orthophonie rééducatives dans le champ comportemental sont prescrites, soit « du fait de la monotonie de la répétition, elles tendent à se « normaliser », à devenir « ordinaire », à se muer en une chose pareille à toutes les choses, : autrement dit à se banaliser.» écrit Zygmunt Bauman, Sociologue ayant vécu l’Holocauste. La Ritaline suivra. Identifiant raison et calcul, « la foi scientiste conduit à arraisonner les hommes et la nature comme des objets, rendus gérables et manipulables par la découverte des lois immanentes censées les régir. La connaissance de ces lois rendrait progressivement superflu le débat politique, le pouvoir devant être à terme entièrement confié à des techniciens. » écrit Alain Supiot, Professeur émérite au Collège de France.
Pour nous, le travail peut juste commencer. Je reçu sa mère, cette femme précipitée par la mort-sure de la guerre, entamée dans l’évidence d’un départ vécu comme une blessure et une amputation. Un enfant était mort à Alep juste avant leur départ, dans une crèche suite à une balle perdue.
 

Le regard change de nature s’il s’objective, s’il est ce pur regard dont Dieu avait été le dépositaire et le garant de notre intimité : il devient ex-time, scrutateur, xénopathique, xénophobique, persécuteur parce qu’il se désarrime de ses connexions discursives, il est ce mauvais œil qui regarde partout, qui n’a pas de cœur, qui doit tout dévoiler jusqu’à vos secrets les plus cachés, il vous dicte la pure transparence de vos actes, il décompose votre image, vous devenez son automate mental ; ce regard ne cille pas, n’accommode pas, ne pleure pas, c’est un regard froid et cruel, celui qu’un Eichmann a présenté lors de son procès et dont le film nous fait le spectateur perplexe de sa désincarnation. Ce regard est un regard qui exige une image sans sa schize fondatrice, celle qui fait que je ne vois pas d’où je te regarde.

 

On disrupte un enfant
 
« Faire de la pédagogie » n’est-il pas le mantra baroque d’une nouvelle politique ? J’ai été amené à rencontrer une femme en expertise suspectée d’avoir secoué son enfant. Le nourrisson était mort. L’enfant secoué et les effets sur la psyché ne laissent pas de traces visibles. Que produisent l’agitation anxieuse et ses Discours, la disruption, autour de l’enfant ?
Si les Discours disruptifs ont un effet sur l’inconscient, ils infusent leur dose d’indifférenciation en proposant un fantasme d’horizontalité. Les modernes entichés de la figure de Montessori lèvent l’étendard de :  « L’enfant, c’est le maître. » Chacun connait l’aphorisme lacanien : « L’inconscient c’est la politique. »  
Les enfants ont-ils un rythme propre ? Je ne parle pas de la chronobiologie en vogue mais d’une logique d’un développement psychique qui a échappé à l’expertise des plus grands pédagogues et à PISA en particulier. L’enfant s’ennuierait, et l’ennui, figure du manque de manque propagerait par contagion les symptômes de  l’hystérisation en cours. «  Le désir de l’Autre par le sujet, dès qu’il surgit, est appréhendé dans ce qui ne colle pas, dans les manques du discours de l’Autre. Et tous les ‘pourquoi’ de l’enfant s’adressent moins, comme on le croit, à cette sorte d’avidité de la raison des choses, qu’il ne constitue une mise à l’épreuve de l’adulte, un « pourquoi est-ce que tu me dis ça ? » toujours renouvelé, toujours ressuscité de ce qui est le fond de ce pourquoi — à savoir de l’énigme du désir de l’adulte. » Alors tout est bon pour détecter l’ennui comme cause. L’ennui, c’est l’attente inconsciente d’une pulsion invoquante en devenir. Pour parfaire la surchauffe d’un climat scolaire sans ennuis et idéalement sans conflits, les statistiques PISA légitiment insidieusement le recours à la neurologie préventive et aux orthophonistes. Elles provoquent la montée forcée d’enfants dans le train bondé du handicap au coût exorbitant pour les collectivités locales, pour donner suite à des signalements intempestifs d’enseignants dépassés par les difficultés, se réclamant au sens propre du terme, des sciences cognitives. Les discours scientistes deviennent la source de nombreuses erreurs et pré-tensions dans l’analyse des rapports de l’enfant à son environnement, fonction de son âge, du groupe, du lieu…, dans l’agitation, au regard de la montée en flèche des diagnostics dys- ou de l’élargissement du spectre équivoque de l’autisme. Nous assistons à une médicalisation outrancière de l’échec scolaire par la déconstruction signifiante des difficultés pédagogiques, sociales, familiales en anormalité, et la différence en handicap, parade de l’épuration idéologique comme figure du bien-être. C’est ainsi que, à coup de certificats psychiatriques, des milliers d’enfants en difficulté sont traités comme handicapés à l’école. Si l’idée de handicap (venue du social) gagne la psychiatrie, celle-ci, à son tour, avance masquée dans la cité, détournée et instrumentalisée.
L’ennui est devenu maître mot déterminant des analyses déculpabilisantes et la cause de confusions voire de divergences colossales garantissant une dose de fantasmes et d’incongruité parfois désespérantes. Est-ce par soucis de leur bien-être ou par bienveillance que nous prenons la main d’un enfant avant de traverser une route sans prendre cette soi-disant précaution de lui demander son avis ?
L’ennui serait la cause même de l’agitation et des tracas du quotidien de la classe. L’enfant deviendrait perturbateur, insolent, son ennui serait la cause de son incivilité du latin, rappelons-le, incivilitas ; violences, brutalités ? Il faudra donc supprimer les prétendues causes de conflits et nous ne pourrons énumérer ici les stratégies autant scabreuses, chronophages, coûteuses, radicales qu’inefficaces, pour occuper l’élève : gestion des émotions, gestion de l’attention, gestion des risques…
Une recherche, figure de l’ampoule dans le Guernica de Picasso, concernant les liens entre obsessionalisation des Discours et chronicisation des symptômes dans l’école, serait particulièrement pertinente pour comprendre comment l’école fabrique « des candidats à la délinquance » qui n’ont plus que les écrans et la cour de récréation, véritable poudrière, comme échappatoire. Elle nous donnerait des pistes pour interroger la fuite des enseignants ou le désintérêt des étudiants, l’échec scolaire, lesdites phobies scolaires et l’anorexie cognitive consubstantielle à l’effort invasif de demandes, la maltraitance institutionnelle, l’acharnement cognitif versus l’acharnement thérapeutique et les désirs inconscients de l’école, les coûts des dits burnouts pour la santé publique traduisant un épuisement psychique des équipes, les heures perdues à des réunions avec les conseillers mobilités maintenant l’illusion d’une terre promise… « Prendre le risque de l’enfance, c’est ne jamais oublier qu’on a été un enfant. Nous tournons le dos à notre enfance. Y revenir, c’est entrer dans le monde de la déception, mais aussi, et seulement là, de l’émerveillement. » écrit la psychanalyste Anne Dufourmantelle.
J’évoque ici à la fois la psychopathologie institutionnelle et individuelle, concernant la place de la pulsion de mort, autant au niveau des adultes confrontés au réel, acculés à leur impuissance, qu’au niveau des enfants ou des adolescents désubjectivés, au un-par-un, transformant parfois l’école en cours des miracles. Le fils du psychologue du développement Louis William Stern, psychologue allemand, l’un des premiers psychologues à travailler sur la « mesure » de l’intelligence et le quotient intellectuel, je parle de Günther Anders, n’écrivait-il pas : « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut surtout pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes archaïques comme celles d’Hitler sont nettement dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif en réduisant de manière drastique le niveau et la qualité de l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. »
L’Inspecteur de l’Éducation Nationale, devenu coach en psychologie dite positive, se verra prendre la place d’influenceur performatif, tête-de-pont des désennuyeurs, souvent à son insu, de politiques publiques hasardeuses, au risque de l’hyperstimulation et de l’hypersollicitation anxieuse et épuisante psychiquement jusqu’à l’étourdissement que certains nommeront burn-out. Les logiques d’optimisation managériale le verront prendre des virages préoccupants pour l’expert judiciaire que je suis : supprimer les chaises en maternelle, organiser la récréation, supprimer les coins jeux source de rivalités et de jalousie, supprimer la sieste source de pleurs, favoriser la montée de la pleine conscience… Un conseiller pédagogique, véritable couteau-suisse multitâches entre le marteau et l’enclume, préparant à l’élevage industriel, écrit sur Twitter : « Il ne faut pas laisser de temps morts aux élèves. Être en connivence et complicité avec eux. Il faut limiter ces temps où ils attendent. » Marie G-G Inspectrice, Ingénieur pédagogique, en charge, selon le discours relayé, d’améliorer les performances scolaires, écrit sur Twitter le 20 septembre 2009 et est retwittée 44 fois :  « 3 idées inspirantes pour repenser les récréations à l’école. La récréation est un catalyseur des apprentissages si elle se passe sereinement : inviter les enfants à créer, à imaginer… Améliorer les capacités sociales, motrices et cognitives. »
La création par décret ? Le succès de la capacité créatrice dépend de « la finesse de l’adaptation » de l’environnement de l’enfant. La finesse n’est pas la recherche du bien-être ou de la bienveillance. « La spontanéité est menacée par l’idée erronée du parent qu’il faut s’y prendre de bonne heure pour avoir un enfant « sage ». »
Certains articles éclatants du RIRE, Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec demandent des éclaircissements. Très présents sur Twitter, ses chercheurs se donnent pour mission de contribuer à ladite innovation « pour stimuler la réussite ». L’éducation par le jeu alimente une manie transverse du packaging, pierre angulaire du semblant de pédagogies discutables se légitimant de noms viciés tels que Montessori ou Freinet, planifiant une forme d’horizontalité dite novatrice propre à « faire régner en majesté l’enfant-roi ».
Chacun se confrontera dans l’école, au risque de la montée de l’insignifiance et des violences inhérentes, à la défiance des familles à qui l’État délivre un message de bien-être et de bienveillance, agrémenté de la légitimation par la Science. Le premier gouvernement d’Emmanuel Macron n’avait-il pas tenté de sacraliser auprès du ministre de l’Éducation Blanquer, l’adoubement de Cédric Villani, mathématicien de renom ?
Les protocoles échappés des laboratoires du néolibéralisme se diffusent à la vitesse d’un virus en transformant la classe en laboratoire. Les fablabs ou espaces de collaboration sont par exemple des « laboratoires de fabrication » voire, de triste mémoire, d’expérimentation des bienfaits  novateurs, sur nos enfants devenus des apprenants, lancés par le mouvement Maker, aux États-Unis dans les années 2000, avec notamment la théorie du connectivisme de Siemens et Downes (2005) et la théorie du constructivisme de Seymour Papert, qui infusent avec les Makerspaces depuis le Canada et le Québec en particulier, dans les pratiques d’enseignement traditionnelles. Ces stratégies sont imprégnées d’ingénierie et de marketing. On y parle « agentivité » (soit, selon ses prétendants, l’association entre l’autonomie et la capacité d’agir). Nous pourrons lire de Nestor Braunstein : « Malaise dans la culture technologique. L’inconscient, la technique et le discours capitaliste. »
Ferenczi avait dévisagé et configuré ces pathologies du lien : « Cela semble être une répétition beaucoup trop littérale de la relation parent-enfant ; dans l’enfance aussi, les adultes présupposent chez l’enfant des affects démesurés, surtout des sentiments d’amour. Il est vrai qu’on ne cesse de les prêcher à l’enfant, assurément une forme singulière de suggestion, c’est-à-dire d’introduction frauduleuse d’émotions non spontanées, n’existant pas réellement. Il doit être excessivement difficile de se libérer d’un tel piège et de devenir soi-même. Si la suggestion réussit, l’enfant devient obéissant, c’est-à-dire qu’il se sent bien dans sa dépendance. Il en va autrement dans les cas où une intelligence, peut-être précocement développée, rend difficile une soumission aveugle. De tels enfants deviennent « méchants », butés, et même « bêtes ». ». Ne découvrons-nous pas un certain art de soumettre l’intellect aux affects ou l’art d’abrutir derrière les leurres performatifs de la psychologie dite positive émancipatrice? 
L’enfant apprend-t-il pour satisfaire à des politiques publiques qui le dépassent ? Ne prenons pas les enseignants ou nos enfants pour des idiots. Les statistiques indiquent courageusement qu’un enseignant sur cinq au bout de cinq ans pense à démissionner. Les pulsions de haine traversent les énoncés de l’école en inhibant les facteurs favorisant la confrontation aux castrations symboligènes.
 
Notre attention pour quoi dans un monde saturé par l’économie de l’attention ? Pour l’enfant lui-même, parce qu’il le vaut bien – non au sens du marché -, mais également pour ce qu’il révèle des modifications quasi anthropologiques et sociales propres à notre temps,  ainsi  que des solutions auxquelles il est contraint pour s’adapter et y survivre. Les pathologies de l’attention comme les TDAH pourraient être entendues comme une réaction inconsciente à l’agitation globalisée connotée par un affaissement de l’attention subjectivante des responsables de l’enfant dans la sphère privée ou dans les institutions. Foucault, lors de la séance du 7 mars 1979, concernant la biopolitique, écrit que dans le monde néolibéral, il faut former du capital humain, « ça veut dire faire des compétences machines », ce qui revient à mettre les individus comme les entreprises en concurrence en développant l’angoisse sous-jacente. Roland Gori souligne que Ferenczi ou Winnicott pourraient devenir les visionnaires d’une culture totalitaire qui se nourrit de la haine en obligeant les individus à se conformer à des prescriptions. L’école, livrée à corps perdue aux guerres d’influence et/ou de séduction, livrée aux intimidations les plus fallacieuses au plus haut sommet de l’État, ne devient-elle pas la figure desdits Instituts Confucius, comme le souligne de Professeur de Sciences politiques Frédéric Charillon, coordinateur des enseignements à l’ENA (Ecole Nationale d’Administration), Instituts Confucius qui promeuvent la langue et la culture chinoise au sein de nombreuses universités mais supervisent en réalité des stratégies beaucoup plus politiques.
 
Conclusion
 
Le bien-être à l’école, une exhibition lénifiante de la gratitude et de la miséricorde ? Est-ce le bien-être qui doit nous guider quand nous prenons la main d’un enfant avant de traverser une route ? Une vie de famille serait-elle encore possible si on y appliquait les standards de l’Éducation Nationale ? L’Éducation Nationale n’entonne-t-elle pas le chant des partisans du moindre effort par la hantise du conflit couplée à un idéal de bien-être et de bienveillance ? Alors, la pratique des « nudges » consistera moins à en appeler à la raison critique des gens en débattant de façon argumentée leurs représentations, leurs croyances que d’agir insidieusement et discrètement sur les comportements en conduisant leurs choix par un conditionnement opérant qui les amènent à désirer ce qui a été décidé pour eux.
 

Pour citer cet article;

BREUILLOT, C. (2022), La bienveillance à l’école rend-t-elle idiot ?,Semaine internationale de l’Éducation et de la Formation, Université de Lausanne, septembre 2022.

#psychanalyse #psicoanalisis #Lacan #Freud

27 Sep

Presentación del texto de Daniel Colson: « ¡Cuídate!

Congreso Internacional 2021-2022 – 2-3 de octubre
Claude Breuillot

Como le gusta recordar a Jean Clavreul: « Lacan se aleja decididamente del fondo biologizante que todavía estaba presente en Freud y define al sujeto del inconsciente como sujeto de los significantes que lo constituyen y representan.
Daniel Colson introduce un « off-topic », el deseo del analista, ya que nada en el argumento menciona su presencia (o ausencia), aparte de una frase: « el analista se considera « un docte ignorante » », frase que podría aparecer como un intruso o un artefacto.
Daniel hace algunos puntos clínicos sobre nuestro tema:

– La figuración de la muerte por la calavera en la anamorfosis; nos mira sin que la veamos. (« Los embajadores » de Henry James, libro 11)
Cuestiona esta hermosa presión social del humanitarismo, activo y actual, que tiende a transformar el acto psicoanalítico en una situación mórbida o moribunda, copiando los fallos del coaching y del asesoramiento de calidad en el mundo empresarial. El pensamiento de Freud no es humanista ni progresista, es « demarcador ».
– Al convocar a Primo Lévi: « Si c’est un homme », Daniel cuestiona el advenimiento de las instituciones como universos concentrados. Cuando la Orden del Consejo de Kapo’s refunfuña en el subterfugio del Consejo de la Orden?
– La Traumdeutung: Sueños con la muerte de seres queridos. « El placer no es el bien supremo, ni es lo que la moral rechaza, indica que como no es el bien, el bien no existe y que el bien supremo no puede ser representado. El destino de Freud es que el psicoanálisis ya no puede caracterizarse como el esbozo de la honestidad de nuestro tiempo, está lejos de Jung y su religiosidad.
– Un despertar psicopatológico, cercano al sonambulismo: « en casa » o Daniel no « se encuentra allí » para ser entendido en la metáfora.
– El desconocimiento del niño que no sabe leer. Esto es lo que Daniel intentó hacer en relación con el argumento, poner en juego su ignorancia, la posición del analizado.

Daniel ha tomado la temperatura de los tiempos, como cada uno de nosotros a nuestra manera, para situar el psicoanálisis actual. Trata de hacer salir la « asociabilidad » de la identificación histérica, que sigue siendo olvidada, con el riesgo, en una alienación pandémica final, de asociar por identificación la institución psicoanalítica Palais du Tau transformada en institución de reeducación o en reformatorio que simboliza la castración, con las nomenclaturas de un consejo establecido de la Orden, de tristes recuerdos, que reflejan el rostro de la refundación.

¿Qué pasa con el que no sabe y el que no conoce?

« En resumen, todo se reduce a la irreprimible declaración de Lambert Strether al pequeño Bilham una tarde de domingo en el jardín de Gloriani […]: ‘Vive todo lo que puedas; es un error no hacerlo’. Realmente no importa lo que hagas en particular, mientras tengas tu vida. Si no tienes eso, ¿qué tienes? Soy viejo… demasiado viejo para lo que veo. Lo que se pierde, se pierde; no te equivoques. Sin embargo, tenemos la ilusión de la libertad; por lo tanto, no seas, como yo, desprovisto de la memoria de esta ilusión. En su momento fui demasiado estúpido o demasiado inteligente para tenerlo, y ahora soy un caso de reacción contra este error. Haz lo que quieras, siempre que no cometas mi error. Porque fue un error. Vive, vive ».
Henry James, Prefacio a la edición de 1909. « Los embajadores »

Pour citer l’article : Claude Breuillot, psychanalyste, docteur en psychologie https://psychanalysebourgogne.wordpress.com/2021/09/27/psychanalyse-psicoanalisis-lacan-freud/

#Psychanalyse #Université #Besançon « Les enveloppes psychiques » 4-6 novembre 2021

6 Sep

Colloque international 4-6 novembre « Les enveloppes psychiques: nouvelle conceptualisation et évolution sociétale » #Université #Besancon

J’interviendrai le 5/11 : « Pressions collectives et souffrances individuelles »